Histoire : Il y a vingt ans, quand la terre tremblait à Al Hoceïma

Le 24 février 2004, un séisme de magnitude 6,2 frappe la région du Rif, faisant 628 morts. L’épicentre est à 19 kilomètres seulement d’Al Hoceïma, relativement épargnée. Le désarroi dans lequel les survivants sont plongés leur rappelle l’enclavement de leur région, et envenime le climat social et politique local.

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Nous sommes en 2004. Un 24 février, passé 2 heures du matin, la terre tremble dans la région d’Al Hoceïma. La magnitude du séisme est de 6,2 sur l’échelle de Richter. La peur et l’incompréhension règnent. Après la confusion, la panique, le deuil et le décompte des morts qui s’élève à plus de 600, place à la colère qui monte.

Au lendemain du séisme, les habitants enterrent leurs morts, tandis que la colère monte.Crédit: AFP

Car les catastrophes naturelles viennent souvent souligner les manques et les insuffisances d’un pays ou d’un territoire. Le séisme jette une lumière crue, sans complaisance, sur la région du Rif. Une région délaissée, minée par des mafias locales, et qui manque de moyens et d’infrastructures, rendant la reconstruction, pour sa population, encore plus difficile à appréhender.

Dans le noir

Comme c’est actuellement le cas dans la province d’Al Haouz, la nature montagneuse de la région rend encore plus difficile l’accès aux villages durement touchés par le séisme, les routes étant bloquées par des effondrements et des éboulements, ces derniers continuant de se produire et d’encombrer les voies. L’arrivée de la pluie ajoute à la tragédie, rendant les pistes glissantes.

De nombreuses victimes attendent pendant plusieurs jours sans recevoir ni secours ni produits de première nécessité. Livrés à eux-mêmes, des survivants creusent à main nue dans les décombres, tandis que d’autres tentent d’improviser des soins d’urgence. Certaines habitations détruites n’appartiennent même pas à un douar, mais plutôt à des “mini-villages”, des “dchars” isolés les uns des autres : il est alors encore plus difficile de les localiser.

Voyant que les secours n’arrivent pas, certains finissent par bloquer les routes menant à la ville d’Al Hoceïma. “À la télé, ils ont dit qu’on distribuait de la nourriture, des couvertures, mais nous n’avons rien vu de toute cette aide d’urgence”, dénonce ainsi un bloqueur de route dans les colonnes de TelQuel, le 25 février 2004, au lendemain de la tragédie.

Pourtant, les premiers secours sont organisés, dans la mesure du possible, dans les localités concernées. Ils s’affairent dans le noir, car l’électricité est coupée, plongeant survivants et secouristes dans l’obscurité d’une nuit cauchemardesque.

L’épicentre du séisme se situe entre Imzouren et Aït Qambra, à 19 kilomètres au sud-est d’Al Hoceïma. Pourtant, la ville a été majoritairement épargnée, et ne recense que quelques fissures dans certains bâtiments. Quand les répliques du séisme font de nouveau trembler la terre, dans la journée du 25 février, les habitants de la région ne sont pas encore sortis de leur torpeur.

À Al Hoceïma, les habitants quittent leurs logements et dorment dans la rue, craignant les répercussions d’une réplique plus violente. Pendant ce temps, les premiers blessés sont répartis entre l’hôpital Mohammed V d’Al Hoceïma et le centre sanitaire d’Imzouren. Ils sont bientôt pleins, rappelant aux rescapés que la région a tout d’un désert médical.

Le personnel soignant fait de son mieux : même les pharmaciens participent aux soins, tandis que des médecins venus de tout le Maroc se sont rendus sur place pour prêter main forte à leurs confrères.

Pour éviter l’engorgement de l’hôpital, les médecins sont contraints de procéder à un tri des blessés: “Ici, nous sommes déjà préparés à la gestion de crises de ce genre. Nous avons déjà organisé des simulations avec les ONG espagnoles (…). Nous n’accueillons que les cas qui nécessitent une opération ou une hospitalisation. Les blessés légers sont pris en charge dans l’un des deux centres aménagés dans la base navale et à l’orphelinat. Les cas graves sont, quant à eux, acheminés à l’hôpital militaire de Rabat”, explique alors un médecin-chef à TelQuel.

La colère

“On a laissé attendre une population politiquement sensible trop longtemps. Il est normal que ça dégénère au bout d’un moment. Plus qu’une revendication, ces gens tiennent avant tout à exprimer un ras-le-bol”

Alors que les réseaux sociaux n’ont pas encore fait leur apparition dans la vie des Marocains, sans stories ni collectes organisées via Facebook, Instagram ou WhatsApp, l’élan de solidarité en réponse au tremblement de terre n’est pas aussi massif et organisé que celui auquel nous assistons aujourd’hui.

Alors que les chances de retrouver des survivants s’amincissent de jour en jour, les tensions montent au sein de la population du Rif, à bout de patience. Très vite, pendant que certains enterrent leurs morts, d’autres laissent éclater leur colère. Une manifestation se crée.

“On a laissé attendre une population politiquement sensible trop longtemps. Il est normal que ça dégénère au bout d’un moment. Plus qu’une revendication, ces gens tiennent avant tout à exprimer un ras-le-bol”, témoigne alors un observateur sur place, interrogé par TelQuel.

Le séisme a été un déclencheur, libérant la frustration d’une population laissée pour compte


Moins de trois heures après un premier rassemblement sur la route d’Al Hoceïma, les manifestants prennent d’assaut un camion dans la commune d’Aït Youssef Ou Ali, et le déchargent. Pendant ce temps, à Al Hoceïma, près de 1500 jeunes jettent des pierres sur les forces de l’ordre. Le séisme joue le rôle de déclencheur, libérant la frustration d’une population qui se sent laissée pour compte, comme oubliée par les évolutions et le développement dont profitent d’autres régions du Maroc depuis quelques années.

Sur instructions royales, les secours s’intensifient dans la région. Trois jours plus tard, le roi Mohammed VI se déplace sur les lieux de la tragédie. Venus de l’autre côté de la Méditerranée, de nombreux secouristes espagnols se mobilisent et rejoignent leurs confrères marocains au sein des zones sinistrées. Les médias internationaux affluent aussi pour couvrir le séisme le plus meurtrier dans le royaume depuis Agadir en 1960. Jusqu’à celui d’Al Haouz en 2023.

Ceci est un résumé du dossier paru le 25 février 2004 dans le n°116 de TelQuel : Chronique d’une catastrophe